Biomorphism in architecture

Biomorphism in architecture

« Toute forme est un moment concret d’une évolution. Ce qui fait que l’oeuvre n’est pas le but fixé mais le
point stationnaire du développement. » (El Lissitzki)(1)

« C’est toujours la même substance qui se trouve dans toutes les choses : la vie et la mort, le sommeil et la
veille, la jeunesse et la vieillesse. Parce que, en se transformant, ceci devient cela et cela, en se transformant,
devient à nouveau ceci. » (Héraclite)

Photographe de l’urbain métropolitain girondin et notamment des bâtiments emblématiques de la
rive droite et de la rive gauche ; de la Soferti et de la Base sous-marine de Bordeaux, Denis Thomas
développe depuis plusieurs années une « vision objective » se manifestant par plusieurs éléments :
des images réalisées selon un protocole rigoureux issu de la « Nouvelle Objectivité » (frontalité,
plan d’ensemble, cadrage horizontal, absence de présence humaine), des images basées sur la
maîtrise de la perspective classique (point de vue centré, géométrie, perpendicularité et
parallélisme, calculs des angles, sécantes et tangentes) faisant ainsi de la photographie un pur
instrument de représentation pour l’esthétique fonctionnaliste.
Or, depuis quelques temps, cette prédominance de « l’ordre de l’architecte » sur celui du
photographe est contrecarrée par l’introduction du naturel, le réveil des sensations, une ouverture de
l’architecture au corps et à la vie toute entière, autrement dit une nouvelle dialectique entre art et
vie. L’invasion d’une végétation sauvage, de sa couleur, de sa vitalité, marque le changement de
paradigme. Les lignes courbes de l’élément floral ou végétal, irrégulières et sujettes à la
germination, à la fluidité, à l’organique rompent avec la géométrie ambiante. A la vision atomiste
classique succède une conception dynamique du monde, nous faisant passer d’un objet immuable
fermé à une mutabilité infinie.
Car Denis Thomas ne copie pas la nature mais nous révèle les aspects internes de son évolution : les
processus de croissance, la déformation, la métamorphose, l’engendrement, autant de processus qui
régissent le vivant et expriment le dynamisme latent des structures vivantes. La vision du
photographe devient alors une vision rapprochée du monde, c’est-à-dire une vision inquisitive et
tendue vers la découverte d’un « secret dans les détails »(2). Le cadre de l’appareil opère ainsi une
découpe à laquelle est attribuée une valeur élective, c’est cette captation vivante et en devenir qui
permet au photographe de suggérer un monde en gestation qui, au fil des ans, se transformera pour
devenir une espèce de flux, de pure énergie dynamique. Impossible en effet de caractériser ces
formes naturelles autrement que par des associations avec le corps humain, le monde de
l’inconscient, la nature visible ou encore la microbiologie ; la fascination qu’elles exercent tient
principalement à leur caractère fuyant ; elles ne sont jamais ce que l’on dit qu’elles sont, elles ne se
trouvent jamais à la place qu’on leur assigne, elles sont toujours autre chose et ailleurs, cellule ou
forme plastique en devenir rendant l’architecture obsolète, inutile, inexpressive.
Denis Thomas crée ainsi un art double, un art géométrique et un art non-géométrique, basé sur une
bipartition entre une réflexion formaliste et un art plus émotionnel, deux écoles donc, celle de la
forme et celle de la vie, deux systèmes complémentaires, celui d’une abstraction géométrique et
celui d’une abstraction organique et « biomorphique », deux méthodes qui relèvent de l’intuition et
de l’émotion autant que de l’intellect et de la raison, du décoratif et du romantique autant que du
structurel et du classique.

Corinne Szabo pour Denis Thomas, avril 2021

1 El Lissitszki, Assez de la machine…, Merz volume 2, 1924
2 Pierre Francastel, La réalité figurative, Paris, Denoël, 1965