Autoritratto

autoritratto, mars 2022

Par les rues de Bordeaux Bastide et dans un urbanisme en totale transition, Denis Thomas arpente
depuis 2010 le site en friche de la Soferti – ancienne zone industrielle du quartier Brazza dont
l’activité a pris fin en 2006 – et collecte, par la photographie, tous les résidus visuels rencontrés sur
son chemin, à l’exemple de anthropometrie 82, bordeaux bastide, 04 septembre 2021 qui nous
donne une vue panoramique sur les 13 hectares du site avec pour arrière fond la géométrie des
architectures et des grues et pour premier plan la germination des plantes vivaces.
Dans cet espace intermédiaire où il immortalise par l’image cette géographie marginale dans son
état actuel d’abandon et de reconversion, Denis Thomas est un véritable marcheur urbain qui
observe la ville en mutation avec toute sa conscience et sa temporalité. Car cette photographie n’est
pas analysée pour son esthétique, ni pour sa valeur artistique et documentaire, mais plutôt comme
une occurrence de la ville, une captation de son mouvement. Son lien avec la mémoire et les
différents temps auxquels, par essence, elle se confronte est ce qui intéresse le photographe. La
photographie se présente alors comme une forme d’inscription du corps de l’artiste dans la ville en
mouvement par la prise de vue qui fige un instant, un autoportrait en quelque sorte dont la
temporalité se connecte au rythme de la cité.
Dans autoportrait à la machine, quai de brazza, bordeaux bastide, 12 décembre 2018, tout le
dispositif mis en oeuvre par l’artiste matérialise non seulement l’imprégnation des instances
percevantes par l’objet perçu mais aussi la formation de l’image par l’appareil. L’interposition de
son corps entre l’objectif photographique tenant la place du voyant et l’image produite (la sienne
dans le miroir d’un chariot verrier) questionne en effet les composants du médium photographique.
Si la première caractéristique du médium est bien la lumière, le reflet dans le miroir est amplifié par
un caisson lumineux de 60 x 60 cm qui éclaire l’image de l’intérieur et absorbe le spectateur. Si le
cadrage est la seconde grande caractéristique de la photographie, un cadre fictif – l’image du
photographe dans les futures vitres d’un bâtiment – vient s’ajouter au cadre réel – une vue sur la
Soferti et sur les constructions à l’abandon – constituant ainsi un véritable tableau dans le tableau.
La photographie met en scène une multiplicité d’espaces et de temporalités et révèle la clairvoyance
de ses procédés. Dans tout ce système révélateur du médium, on peut également y ajouter une
réflexion aux accents barthésiens sur le thème de la trace qui donne à la photographie son sens
indiciel et sa valeur de mémoire. Les empreintes numériques sont accompagnées d’un irréfutable
destin : celui de la trace qui ne vaut que par l’absence de ce dont elle dessine, celui de la mort et de
la disparition du sujet, celui de l’effacement de soi et de la ville comme acte de disparition mais
aussi comme acte de renouvellement. Cette pratique artistique relève en effet d’une sorte de quête
d’images perdues, d’images vécues et dont la collecte vient reconstituer ou fabriquer à nouveau une
histoire à la fois personnelle et urbaine, comblant les vides.